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San Valentin : la retraite de Patagonie

Au 19ème siècle, Antoine de Tounens, clerc de notaire à Périgueux, pointa sur une carte du monde une des dernières régions non gouvernées et s’autoproclama roi de Patagonie. Après avoir rédigé une constitution, défini les couleurs d’un drapeau national et lancé (en vain) une souscription nationale pour lever une armée, il se rendit sur place pour visiter ses nouveaux sujets et faire reconnaître sa légitimité. Après quelques semaines, il écrivit : « Le Chili est un pays sans mesure. Au nord, il ne pleut jamais. Au sud, il pleut sans cesse. A l’extrême nord, le soleil brûle la terre et l’eau. Au sud, le froid les gèle. Au nord, tout se dessèche. Au sud, tout pourrit. J’étais le roi de l’enfer. J’étais le roi de ces fous. » Et il ajouta, à propos de la Patagonie : « Chaque marin, à Magellan, est marqué par l’incrédulité et la stupéfaction qu’on éprouve à savoir que des êtres humains (les Indiens) parviennent à survivre dans cette désolation. Le soleil est un miracle qui ne se produit que trois à quatre matins par an. Des nuages chargés de grêle et de neige se ruent de tous les quartiers de l’horizon tandis que s’abattent dans l’eau des blocs énormes détachés des glaciers, produisant des vagues monstrueuses. »

Peut-être aurais-je du relire ce livre de Jean Raspail, qui relate l’histoire d’Antoine de Tounens, avant de partir en Patagonie. Dans cette contrée où, du fait de vents dominants d’ouest, les masses d’air chargées d’humidité venant du Pacifique se refroidissent en passant sur la calotte glaciaire du Hielo Continental et butent sur la Cordillère des Andes. La zone reçoit environ 30m de précipitations par an. Les sommets sont couverts par les nuages de façon quasi-permanente. Le sommet du San Valentin, à seulement une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau de Pacifique, est particulièrement exposé.

De façon surprenante et pleine de promesses, un soleil radieux nous accueillit à notre arrivée à Puerto Guadal, point de départ de l’ascension quand elle emprunte le versant est dit ‘Leones’, du nom du lac et du glacer qui donnent accès à la calotte glaciaire du Hielo Continental. Néanmoins, ce beau temps durait depuis trois semaines et cette série tout à fait exceptionnelle ne pouvait durer… Le lendemain, les montagnes étaient bouchées. Le surlendemain, quand nous nous mîmes mis en route, le mauvais temps s’installa. La progression prévoyait deux grosses journées d’approche et de portage, permettant de rallier le camp dit des ‘Italiens’ vers 1800m puis passer un col pour accéder au plateau glaciaire où trône le San Valentin et, finalement, moyennant deux camps supplémentaires, se mettre en position de tenter le sommet. Hélas, les conditions météorologiques nous bloquèrent cinq jours et six nuits au camp des Italiens. Le vent souffla à 70 à 80km/h en continu et davantage en rafales, nous déséquilibrant parfois lors de la marche, voire empêchant toute progression. Il s’établit de façon quasi-permanente, secouant les tentes (pourtant montées avec doubles arceaux) comme des pruniers, faisant claquer les toiles et créant un vacarme assourdissant. Les précipitations neigeuses, sous l’effet du vent, créèrent des congères et imposèrent un travail de déneigement régulier. Quelques rares accalmies de vent et de neige laissèrent la place au calme… dans un épais brouillard ! Peut-être était-ce cela, l’éclaircie promise par les bulletins météo (obtenus par radio)… De très occasionnels coins de ciel bleu purent être aperçus au-dessus du camp, mais jamais sur les sommets alentours et toujours sous un vent puissant. Nous n’eûmes aucune véritable vue sur un paysage théoriquement somptueux. Une tentative de progression vers le haut, pour tenter l’ascension du Cerro Cristal en sommet de substitution, avorta dans le vent, la neige et le brouillard. Ce jour-là, le bulletin météo annonça un lendemain mauvais suivi de quatre jours catastrophiques avec une chute des températures, un mètre de neige par jour et un vent de 150km/h à 4000 mètres. Dans ces conditions, pas question de tergiverser et jouer avec la sécurité : surtout, ne pas rester coincés, dans l’impossibilité de monter ou descendre, avec des conditions sévères pouvant aller jusqu’à menacer l’intégrité physique. L’heure de la retraite sonna. Le vent, la neige ou la pluie nous accompagnèrent jusqu’au bout de la route de retour ainsi que les jours suivants, ponctuant tristement cette aventure.

Le bilan ? La déception de ne pas avoir eu la moindre chance. La frustration d’avoir été à pied d’œuvre, prêts à l’action avec de solides moyens humains (trois guides dont un chilien, une équipe expérimentée) et logistiques (3 pulkas, 4 tentes, 13 jours d’autonomie en nourriture et gaz), sans finalement avoir rien pu faire ou voir. Alors que nous reprenons la route puis l’avion pour rentrer, la météo s’est remise au beau fixe. Il y aura eu treize jours consécutifs de (très) mauvais temps correspondant exactement aux treize jours prévus pour notre ascension. Espérons que cet épisode patagon n’augure pas des conditions météorologiques qui nous accompagneront en 2011…

Montée (chargés) au camp des Italiens 

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Coincés au camp des Italiens : vent, neige, de préférence les deux à la fois

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Après travail de déneigement, lors d’une éclaircie fugitive et très localisée au-dessus du camp

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L’unique lever de soleil, ou comment se précipiter pour une photo du moindre bout de montagne qui se dégageait

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Tentative au Cerro Cristal : ça donne envie, non ?

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L’heure de la retraite de Patagonie

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Crédits photos : les miennes (quand même…!), Manu Villard, Sylvain Cavallini. Merci à eux !

16 commentaires sur “San Valentin : la retraite de Patagonie”

  1. Bonjour Marion,
    je découvre ton blog et je constate que la nature n’a pas été tendre avec toi pour cette première étape de ta grande aventure. beaucoup de frustration mais avec ton enthousiasme et ta volonté, les
    prochaines étapes seront couronnées de succès. Bon courage pour la suite.
    Amitiès

  2. Chère Marion,
    Bravo pour cet essai et pour tes descriptions et tes photos très belles.
    Cela donne envie de t’accompagner. Garde la joie de ces rencontres et de ces découvertes pour arriver déjà là où tu es !
    Même si cela semble être un échec. Ce retour peut aboutir à une réflexion sur notre humble humanité qui dépend aussi de notre environnement donc d’un tout. Voir Teilhard de Chardin. La messe sur le
    monde
    Virginie va avoir bientôt un bébé :beaucoup changements dans tous les secteurs de sa vie et a peu de temps mais pense bien à toi
    .

  3. Pour en finir avc la Patagonie :

    « La Patagonie, c’est ailleurs, c’est autre chose, c’est un coin d’âme caché, un coin de cœur inexprimé. Ce peut-être un rêve, un regret, un pied de nez. Ce peut être un refuge secret, une seconde
    patrie pour les mauvais jours, un sourire, une insolence. Un jeu aussi. Un refus de conformité. Sous le sceptre brisé de Sa Majesté, il existe mille raisons de prêter hommage, et c’est ainsi qu’il
    y a plus de Patagons qu’on ne croit, et tant d’autres qui s’ignorent encore. »
    Jean Raspail (1955)

    « Ailleurs, c’est un pays lointain, souvent rêvé, un peu flou, un peu mystérieux, un pays pour l’âme, pour le cœur, une seconde patrie, peut-être imaginaire, peut-être vraie, un territoire vierge,
    un royaume perdu où l’on se retrouve soi-même, une frontière au-delà de laquelle, plus loin encore, on découvre une autre frontière, et ainsi de suite, sans fin, car derrière ailleurs, c’est encore
    ailleurs, et, ailleurs, c’est (aussi) l’espérance. »
    Jean Raspail (pour Défense de la langue française,
    dans le cadre du Prix du plumier d’or 2009)

  4. Bonjour Marion,

    Allez demain c’est reparti pour l’autre sommet Chilien, avec j’en suis certain une excellente météo. Il y a beaucoup de monde derrière toi qui te pousse dans tes progressions (et aussi fort que le
    vent Patagonien !!!) au moins autant que tu nous fait rêver.

    Suerte.

    Jacques.

  5. hello

    merci pour tes commentaires sur le bog, je les lis toujours avec gd
    plaisir!

    je repasse en coup de vent à Paris le 12/2, je vous appellerai mais ce sera peut-être un peu juste pour se croiser sauf si vous voulez venir en banlieue est

    sinon, je rentre d’Ouganda le 24 donc ds les jours suivants, ou entre le 16/3 et 17/03 – en fonction de ce qui est compatible avec vos agendas de ministres!

    peux-tu me repasser le mail qui détaille le programme de lAMA Dablam (je l’avais envoyé à D. Mazur ms ne le retrouve pas)?

    bonne journée

  6. ce ne sera peut-être pas le dernier, on ne décide pas des conditions sur la montagne ou de la météo… J’avais eu du beau temps lors d’un voyage plus au sud vers le Cerro Torre et le Fitz Roy;
    là, cela fait une moyenne….!

  7. ENORME ! dommage pour le temps souhaitons que ce soit le pire du pire qui vient de t’arriver et que toutes les expe à venir soient réalisables question meteo !

  8. Frison a fait ses premières expériences de lyophilise, observé avec étonnement (et de l’intérieur) la tempête, et sorti le bout de son museau lors d’une courte éclaircie, le temps de poser
    près d’une tente pour la postérité!

  9. Ces livres sont en effet incontournables pour qui a envie de se rendre dans cette contrée certes à la météo capricieuse mais tellement belle!

  10. Bonjour aux lecteurs du blog de Marion

    Si certain(e)s d’entre vous veulent lire un ou plusieurs ouvrages sur la Patagonie australe, je suggère :

    Jean RASPAIL [le romancier français incontournable sur le sujet], Adiós, Tierra de Fuego (Albin Michel) [le testament patagon de Jean RASPAIL],
    Qui se souvient des Hommes… (J’ai lu) [l’histoire des Indiens des canaux fuégiens],
    Moi, Antoine de Tounens roi de Patagonie (Albin Michel) [la vie de cet avoué périgourdin qui s’auto-proclama roi de Patagonie en 1860].

    Bonne lecture. Faites attention à ne pas attraper le virus patagon : cela ne se guérit pas (pas de vaccin, ni de traitement, ni de rémission). Les symptômes : l’envie de partir en Patagonie, c’est
    à dire ailleurs… voir autre chose…

    Cordialement,

    Jean-Paul

  11. Bonjour Marion

    Eh oui, son cosas de Patagonia…

    Je t’ai déjà parlé du temps ensoleillé que nous y avons eu mais le vent patagon c’est quelque chose. L’atterrisage à El Calafate, la montée au lac qui se situe au pied du Fitz Roy ou la randonnée
    le long du Lago Grey pour voir les morceaux du glacier jouer aux glaçons nous l’ont prouvé.

    Je vois que tu as gardé ton sourire et que ton blouson Arc’téryx est très photogénique ! Tu sais que la porte à Courbevoie t’est toujours ouverte ; alors quand tu rentres (en février, je crois ?)
    tu nous fais signe, ne serait-ce que pour parler des manchots… et de l’Ama Dablam.

    Avec toutes mes amitiés (et celles de Juliana bien sûr),

    Jean-Paul

  12. Bonjour Marion,

    Ces jours derniers, nous attendions de tes nouvelles et ce matin nous partageons ta déception … D’autant que nous, nous avons été gratifiés d’un si beau temps que nous avions douté des rigueurs
    du climat, excepté le vent patagon (c’est quelque chose, même par beau temps). Ainsi, Frison n’est pas sorti du sac. Pense à l’encorder lors de ta prochaine ascension.

    Enfin, tu rapportes tout de même de belles images (tu avais raison quant à la couleur de ton coupe-vent) qui nous font rêver même avec la tempête. Garde ton sourire, tu as encore 11 mois de beau
    temps devant toi.

    Une grosse bise de Jean-Paul et Juliana

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