Pourquoi l’altitude ?

Je suis nostalgique d’une année consacrée à la montagne et la haute altitude. Je cherche autour de moi les pentes de neige immaculée et leurs formes sculptées par le vent, si caractéristiques des faces andines et himalayennes. J’essaie d’imaginer les parois de glace et d’y localiser les emplacements de camps. Je tente de retrouver l’excitation que procure la vision des petites tentes jaunes perdues dans l’immensité, accrochées à la montagne. J’ai envie de sentir le sang circuler dans les veines, le souffle se raccourcir. Les tempes battantes, pleurant parfois en se laissant envahir par cette vague apaisante née de l’évolution dans cet univers de l’oxygène rare. Libérant la pression sur la poitrine, laissant s’échapper une émotion longtemps contenue. Confrontée avec soi-même, sans échappatoire, pour un retour à l’essentiel, un recentrage sur le noyau dur, au-delà des apparences.

Je suis amère d’avoir du redescendre, oubliant là que l’altitude est un monde où l’on n’est qu’un invité, de passage. Je passant sur les souffrances rencontrées et ne montre que les photos spectaculaires. Racontant la fascination et la beauté plutôt que la peur ou les difficultés. Partageant des horizons inconnus voire insoupçonnés. Écoutant les réactions, répondant aux questions. Une manière de revivre des instants privilégiés et de reprendre pied avec la réalité.

Je rêve d’y retourner prochainement, pour écrire la suite de cette histoire intime avec les montagnes. Lever à nouveau la tête et les yeux, le cœur gonflé de l’espoir de rassasier cet appétit et cette soif inextinguibles. Le regard déjà ailleurs, l’esprit déjà concentré sous l’effet d’une force intérieure qui pousse, sans relâche, à repartir haut, très haut. Boulimique. Avec un sentiment, sinon d’urgence, du moins d’impérieuse nécessité. Pour quelle quête ? Toucher ou dépasser ses limites ? Ou pour quelle fuite ?

Quelle est cette fièvre qui m’habite ? Me laissera-t-elle un jour  un peu de répit? Pourquoi céder encore et toujours à cette exigence si redoutable pour l’individu ?

L’altitude peut agir comme une drogue. Sans une « dose » régulière, on se trouve littéralement « en manque », perdu. Monter plus haut, plus fort. Pour se perdre, fuir, oublier et échapper à l’angoisse de la vie. Pour une joie sauvage, une jouissance éphémère, une poussée d’adrénaline, une sécrétion d’endomorphine. Pour se réaliser, avoir envie, oser et rêver. Pour vivre !

Une souffrance, donc, mais plus sûrement le soulagement d’échapper à une autre souffrance plus grande encore. L’altitude pour s’accepter, vaincre la solitude et combler le vide. Alors que, paradoxalement, plus on y retourne et plus on est seul. Sans y trouver le sens à donner à sa vie. L’altitude vous accueille en son seing, ses bras se referment sur vous. Elle vous happe et pourrait ne plus vous laisser redescendre.

Il faut s’extraire de la fascination exercée par cet environnement exigeant, sans compromis ni pitié, d’une beauté et une pureté irréelles et uniques, où l’on sacrifie toujours une part de soi-même et dont on ne revient jamais indemne. Etre à la hauteur du défi de la haute altitude n’est qu’un leurre : le véritable enjeu n’est pas là. L’altitude n’est pas une fin en soi. Il y a d’autres façons d’exister que de grimper sur des sommets de plus de 7000 mètres, où l’on met son intégrité physique en danger.

Ces pages s’inscrivent dans une volonté de partage. Elles sont une invitation au voyage, aux bouts du monde, en haut du monde, à l’intérieur de soi-même. S’aventurer une fois en altitude s’apparente à une curiosité ou une initiation. Y retourner maintes fois, année après année, relève forcément d’une toute autre démarche qu’il est essentiel de bien comprendre. A chaque alpiniste la sienne propre. A chacun ses motivations ou sa quête.

Ces pages partent à la rencontre de peuples, de modes de pensée, de sourires et de la beauté parfois bouleversante de la Terre, qu’on en viendrait presque à oublier. La pureté et le dépouillement, pour un bain de régénérescence.

Les lumières d’altitude offrent aux paysages des nuances uniques. Elles donnent aux peuples qui y vivent des reflets particuliers. Elles brillent dans les yeux de ceux qui sont allés là-haut. Symboles de joies, de beauté et de pureté; éclats des souffrances ou de la fièvre.

Les lumières d’altitude s’évoquent au superlatif : des couleurs plus crues, des atmosphères plus limpides, un ciel tellement bleu qu’il en devient noir… Un oxygène plus rare, un froid plus intense… L’altitude ouvre une porte sur le monde et sur nous-mêmes. Elle attire et fascine. Attention à pouvoir vivre en dehors de cette lumière si particulière, qui peut ne vous attirer que pour mieux vous brûler et vous perdre.

Marion Jonchères

 

Plusieurs chapitres constituent l’apprentissage de la haute altitude :

  • Tout premier contact à l’Alpamayo / la découverte du Népal  Pérou & Népal Pérou & Népal
  • La générosité et la spontanéité de la jeunesse au Cho Oyu (8201m)   Cho Oyu Cho Oyu
  • Le Shishapangma (8013m) : aller se perdre tout là-haut    Shishapangma Shishapangma
  • Déception et retour sur les collines alpines    Alpes Alpes
  • La piqûre de rappel du Kilimandjaro (5895m)   Kilimandjaro Kilimandjaro
  • Révélations au Gasherbrum 2 (8035m)    Gasherbrum 2 Gasherbrum 2
  • Plaisir au Spantik (7027m)    Spantik Spantik

 

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