Ojos del Salado et Aconcagua (janvier 2004)

De Santiago, nous rejoignons la région d’Atacama dans le Nord du Chili, ses déserts, volcans et salars. Là, le paysage est celui d’un plateau aride sur lequel viennent mourir les pentes des volcans de la Cordillère des Andes, dont le maître des lieux qui domine le petit village de San Pedro de Atacama: le Licancabur (5930m).

Sur la Plaza de Armas, l’arbre de Noël est toujours présent ainsi que les personnages de la crèche. L’église est belle et typique, aux murs blancs et plafond en cactus. Quelques rues en terre, dites commerçantes, concentrent des boutiques d’artisanat et des agences de voyage proposant des excursions dans la région ainsi qu’en Bolivie, dont la frontière est toute proche.

Nous effectuons l’incontournable excursion dans la Vallée de la Lune, située dans le prolongement de la Cordillère de Sel. Elle présente des reliefs étonnants formés par le sel cristallisé, parfois sous forme de croûte ou bien de « sucre glace » recouvrant le sol, ou de reliefs sculptés sur les flancs de falaises style « chou-fleur ». Blocs et écorces de sel, blancs à l’origine puis colorés par la poussière et le sable apportés par le vent. Gorges, canyons, plateaux… dunes par endroits… dans la lumière chaude et orangée de la fin d’après-midi puis du soleil couchant, dans une atmosphère transparente, avec en toile de fond le Licancabur. La lune se lève ; l’endroit, minéral, est exceptionnellement aride.

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Un trek de quatre jours nous mène le long d’une rivière que nous traversons plusieurs fois et qui se trouve au fond d’une vallée surplombée de hautes falaises de terre ocre. Des trous dans la falaise marquent l’entrée d’une mine de cuivre désaffectée. Quelques ruines de maisons aux murs de galets ainsi que des fenêtres de maisons troglodytes agrémentent le paysage. Puis nous quittons le lit de la rivière et le fond de vallée pour monter à flanc de colline et gagner une crête où nous accueille une brise bien agréable. De là, le sentier joue aux montagnes russes. Certains d’entre nous qui connaissent l’Altlas s’y reconnaissent tout à fait. Des cactus apparaissent, d’abord rares, puis en nombre, se dressant dans les pentes d’éboulis et de rochers brisés. Il n’y a aucune faune à part des lézards, et plus tard des lamas, quand nous approchons d’une lagune entourée de quelques espaces verts. Des flamants roses sont groupés de l’autre côté de la lagune : l’un d’entre nous siffle et fait s’envoler les oiseaux qui volent en escadrille, font des tours au-dessus du marais et de nos têtes, passent et repassent devant nous : magique ! Ce sont des flamants andins, avec des plumes rouges sous les ailes et le corps rose pâle.

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Le trek s’achève aux thermes de Puritama. L’eau est claire, bleue ou verte selon le fonds de la vasque, généralement peu profonde et d’une température de 35°, les vasques naturelles les plus hautes étant également les plus chaudes. Nous découvrons quelques poissons, minuscules, et surtout une multitude de libellules bleues qui volent au-dessus des piscines.

En nous rendant au pied du Licancabur, nous pouvons admirer la Laguna Verde, la Laguna Blanca et leurs flamants roses. La Laguna Verde ressemble à une piscine. La Laguna Blanca change de couleur en fonction de la luminosité. La teinte dominante est bleu pâle / gris ; sur les bords, de la terre qui prend des reflets rouge, ocre, orange, blanc… Magie des couleurs.

Après l’ascension du Licancabur, sans histoire et excellente pour l’acclimatation à l’altitude, nous descendons plus au Sud et passons dans le salar d’Atacama, sensationnelle et étonnante étendue de sel formée par évaporation d’une mer intérieure : la couche de sel est très épaisse (plusieurs centimètres) et forme par endroits de grandes plaques octogonales bien dessinées qu’on pourrait presque détacher et emporter sous le bras ! La réverbération est intense.

Nous nous arrêtons la nuit dans un baraquement au milieu d’un no man’s land, entouré de monts pelés, desservi par une route rectiligne à deux voies avec sur son côté un panneau jaune indicateur d’un vague virage… sous les couleurs orangées du coucher de soleil, la lune rapidement levée… Dans le style Bagdad Café, on ne peut pas faire mieux !

Fini le tourisme, nous passons aux choses sérieuses : l’ascension de l’Ojos del Salado. Nous marchons à travers de très larges étendues de sable recouvertes de cailloux multicolores et minuscules, posés comme pour former des mosaïques. Plus loin, nous découvrons de magnifiques pénitents de neige et glace dont certains doivent mesurer quelques quatre mètres de haut : c’est le degré d’humidité, ainsi que l’angle d’incidence du rayon de soleil sur le névé, qui sont à l’origine de ces formations étonnantes qui ressemblent à des épées de glace. Elles sont groupées en forêts et se détachent sur le ciel au milieu du sable. Devant nous, l’Ojos semble nous tendre les bras.

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Au camp 1 à 5200 mètres, je commence à me sentir de mieux en mieux. Je goûte l’altitude et regarde avec impatience la suite du programme, l’odeur de l’altitude que je sens et qui m’attire. Le vent claque dans la toile de tente et balaye le paysage ouvert de hauts plateaux à perte de vue et de quelques volcans. On est bien.

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Après une marche facile, nous installons le camp 2 à 5880m, à proximité du refuge. A l’heure du réveil, il fait –12° à vue de nez. Le froid et la nuit, ainsi qu’un sentier raide et meuble, sont nos principaux ennemis jusqu’à ce que le jour se lève et le soleil chauffe. Après une heure de marche, nous trouvons soleil et neige. Le temps est magnifique, sans un nuage, et le vent reste modéré ; le froid, par contre, est vif. Nous marchons environ 45 minutes entre chaque pause, au pas de métronome de Manu. Cinq personnes du groupe ont déjà renoncé. Vers 10h30, nous sommes à 6550m en haut de la grande pente de neige et attaquons la traversée vers une épaule. Il faut être vigilants pour ne pas glisser. Nous rejoignons un groupe de Vénézuéliens et les suivons en remontant une trace raide le long de l’épaule. On se croirait sur l’autoroute du sud un jour de départ en vacances ! La pente est raide jusqu’au bord du cratère de l’Ojos, d’une circonférence d’environ 100 mètres, totalement plat et recouvert de neige. De l’autre côté du cratère, en face de nous, une pente de rochers brisés donne accès à un col d’où l’on gagne facilement le sommet. Bruno et José sont très fatigués. En les regardant, on croirait voir un remake de « On a marché sur la Lune ». Manu et moi les haranguons, les poussons pour qu’ils ne s’arrêtent pas et continuent à mettre un pied devant l’autre, mètre après mètre. Au-dessous du col, il y a une longueur en rocher. Une corde fixe est installée. Il suffit ensuite de suivre le fil d’une arête également équipée d’une corde fixe ; une trentaine de mètres plus loin, nous arrivons au sommet, marqué par une croix ! Sommet ! Au loin, des plateaux à perte de vue, quelques volcans parfois enneigés. En face de nous, à deux pas, le sommet argentin de l’Ojos, tas de cailloux un peu plus bas que le sommet chilien. Sommet, le premier de l’année !

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De retour à Santiago, je quitte le groupe de l’Ojos et pars en transport privé vers l’Argentine et le pied de l’Aconcagua. Le taxi se faufile dans les embouteillages de Santiago puis file vers Portillo, le col à 3100m, le tunnel, le hub des douanes. Nous allons jusqu’à Mendoza pour obtenir le permis d’ascension, puis revenons à Los Penitentes.

L’Aconcagua, point culminant des Andes et du continent américain (Nord et Sud), attire beaucoup d’amateurs et de « touristes », ainsi que les candidats aux Seven Summits. Nombre de postulants au sommet sont peu rompus aux techniques d’alpinisme et à l’altitude, et mal préparés aux difficiles conditions météorologiques que l’on peut y rencontrer. Le froid et le mauvais temps de l’Aconcagua peuvent être redoutables.
Je monte à cheval, pour gagner du temps et faire en un jour l’étape menant au camp de base de Plaza de Mulas, alors que le trajet prend usuellement deux jours. Cela me permet de rattraper un couple de Français auquel je me joins pour tenter le sommet et qui est en avance sur moi d’une journée.
Cette montée au camp de base fut une épopée. Même si l’animal et moi étions dans le même camp pour monter tranquillement, les muletiers nous ont traités respectivement comme de vulgaires animal et marchandise de bât an cravachant l’arrière-train de l’animal pour le faire accélérer, créant chez moi  des sueurs froides lors des descentes vertigineuses et instables, et provoquant des blessures à la partie la plus intime et fragile de ma personne dont j’ai longtemps gardé les traces (mon céans, en clair…).
Le camp de base est une véritable ville-champignon de tentes multicolores et multiformes, avec la poste, les bars à musique et restaurants, le café Internet (10USD les dix minutes)… Le royaume de la libre consommation: on peut louer porteur, guide, tentes, et acheter de la nourriture.
J’ai trouvé la montagne moins moche que ce que l’on m’avait décrit, voire franchement belle sur son arête sommitale. Bénéficiant pleinement de l’acclimatation acquise à l’Ojos des Salado, je suis montée sans trop de peine même si je n’ai pas couru sur les derniers 80 mètres qui le placent au-dessus de l’Ojos. Nous étions deux, les premiers ce 28 janvier à midi au sommet de l’Aconcagua, par une météo exceptionnelle (-10 degrés au sommet, vent modéré, pas un nuage), admirant la face Sud devant nous.

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034-AconcaguaMontée1 040-AconcaguaArvéSomt 041-AconcaguaSommet2 042-AconcaguaSommet

Je garderais par ailleurs le souvenir de la bureaucratie argentine qui impose de stocker les matières fécales (“human rests”) dans un sac numéroté et de transporter ce sac entre les camps d’altitude, à charge de le ramener au camp de base à la fin de l’ascension. Qu’on ne rie pas: des gardes du Parc de l’Aconcagua veillent spécialement à la correcte utilisation de ces sacs.

Je suis ravie d’avoir réussi le pari du double Aconcagua – Ojos del Salado. Je commence seulement à réaliser le caractère exceptionnel de ce que je suis en train de vivre. Cela a quelque chose d’irréel ; je vis chaque jour séparément, savourant ce qu’il m’apporte. Seize the day. Dare your dreams. La vie est belle !

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